• L'astrobiologie : origine des sciences modernes et des religions

    "La pensée de l'Asie et l'astrobiologie", de René Berthelot, est l'un de ces ouvrages importants que tout homme cultivé devrait avoir dans sa bibliothèque, et , ajouterais je, qu' il faudrait enseigner à l'école, tellement le thème du fanatisme religieux devient crucial de nos jours.

    D'ailleurs Léon Brunschvicg ne s'y est pas trompé, qui place un bref commentaire des thèses de ce livre au début de "L'esprit européen" (un des ouvrages capitaux de Brunschvicg, son legs à la postérité pourrait on dire, puisqu'il comprend les dernières leçons professées en Sorbonne de l'automne 1939 à Mars 1940, avant l'invasion allemande et la fuite dans la clandestinité de Brunschvicg, qui devait se terminer par sa mort en janvier 1944).

    "Astrobiologie", cela désigne le système d'idées que la marche des astres, avec sa régularité mathématique , et la croissance des plantes ont inspirées à l'humanité, et par lesquelles l'esprit des hommes a pu rattacher la vie humaine et les lois qui la règlent à la vie de la nature et aux lois de l'univers. Ce qui caractérise ce système c'est qu'en lui la force vitale et la loi mathématique sont intimement liées, et que l'esprit explique par cette union les évènements terrestre comme les phénomènes célestes. Il y a pénétration réciproque de l'idée de loi astronomique et de celle de vie végétale et animale; d'une part tout est conçu comme viant, y compris le ciel et les astres, de l'autre tout est soumis à des lois numériques, caractérisées à la fois par la nécessité absolue, par l'harmonie et la stabilité.

    La plupart des actuelles doctrines "ésotériques" ou occultes du monde et de l'homme : théosophie, doctrines d'Ouspensky et Gurdjeff, alchimie, soufisme, kabbale, mouvements de type "new age" sont une sorte de retour à l'un des stades anciens de cette astrobiologie, censé être un "pas en avant" par rapport à la science moderne "matérialiste et sans âme"; le cas le plus flagrant (et le plus attachant hélas, à cause de la personnalité hors normes de son fondateur ) est celui de l'anthroposophie de Rudolf Steiner. Et bien entendu nous devons mentionner aussi l'astrologie, l'inévitable astrologie, qui date de la Chaldée mais est devenue de nos jours le refuge des pauvres losers qui désirent que leur petite vie soit bien cadrée tous les matins par le petit encadré consacré à leur signe, et aux charlatans qui les exploite... sans oublier les recruteurs en entreprise, qui accordent grande importance à toutes ces fadaises de signe astrologique et d'écriture, voire de numérologie du nom etc..etc..

    Mais il s'agit là d' un pas en avant imaginaire , illlusoire, d'une avancée dans l'obscur: car le "progrès de la conscience dans la philosophie occidentale" étudié par Brunschvicg ne laisse place à aucune équivoque dans l'orientation : l'astrobiologie constitue un stade intermédiaire, stade qui a longtemps dominé l'Asie et le monde méditerranéen, entre les croyances primitives de l'animisme et du chamanisme, et la spiritualité pure de la science moderne et de la philosophie qui l'accompagne, qui est la "Mathesis universalis.

    Seulement ce stade intermédiaire, qui , initié en Chaldée et à Sumer, inspire des civilisations aussi variées que la Chine, l'Inde, la Perse, l'Assyrie, l'Egypte, Babylone , Israel  et la sphère méditerranéenne (y compris donc la Grèce ancienne) , est bien complexe; pour résumer ce qui ne saurait faire l'objet que de très longs développements , on assite à une sorte de décantation, de séparation chimique (ou alchimique) entre les deux éléments hétérogènes que sont la nécessité et la spiritualité d'ordre mathématique, qui sera transmis à l'Europe selon un processus long et compliqué, et l'élément violent, passionnel, irrationnel , qui caractérise la "vie" végétale et surtout animale, et qui sera l'apanage de l'Asie : soit qu'elle reste en arrière du mouvement qui aboutit à la science moderne, soit qu'elle soit touchée par l'expansion du monothéisme islamique, qui constitue la plus radicale continuation du prophétisme juif et son universalisation.

    Le monothéisme se signale certes par son opposition violente à la fois aux cultes agraires et à l'adoration des astres. Mais ce n'en est pas moins à partir d'idées présentes dans les religions astrales que l'idée monothéiste s'est formée, et d'ailleurs la distinction entre dieux "bons" (solaires,sidéraux, "lumineux") et démons nocturnes , qui aboutit à celle entre un Dieu bon et un "principe du Mal", n'a pas une autre origine; c'est d'Iran et de Babylone que prend son essor l'idée de l'unité de Dieu , qui est en même temps un Dieu personnel, et qu'elle est transmise aux Hébreux. Le passage du dieu de la cité, de la tribu, à un Dieu unique de l'univers, s'est opéré à Babylone avant qu'il ne s'opère en Israel. Et il a ensuite été transmis à l'humanité moderne par le biais du christianisme et de l'Islam.

    Mais l'évolution de l'Occident (chrétien) se différencie de celle de l'Asie et du monde islamique en ce qu'elle débouche sur la mutation scientifique de la fin du moyen Age au 17 ème siècle, mutation qui se constitue dans l'abandon définitif de l'élément passionnel, irrationnel qui caractérise le "Dieu personnel" du judaïsme et surtout de l'Islam. La décantation atteint son point final, seul reste l'élément purement spirituel car purement mathématique du monde des astres.

    Cette histoire, qui dure depuis quatre siècles, dure encore, et continue en montant toujours vers une connaissance plus unifiée et donc vers une "conscience" plus évoluée moralement, et en abandonnant (dans la révolution du 20 ème siècle en physique) ce qui était trop naïf dans la notion de stabilité et de loi immuable. Einstein, dont la relativité générale est à l'origine de la cosmologie moderne et de la très importante notion (rappelée par Smolin, que certains qualifient de "nouvel Einstein") de "background independance", comportant le caractère dynamique et évolutif accordé à la géométrie, était encore tellement influencé par l'éducation qu'il avait reçue à la fin du 19 ème siècle qu'il éprouvait toutes les peines du monde à oser même concevoir un Univers qui ne soit pas statique.

     Mais elle est bien plus menacée, cette évolution des idées qui se fait à coup de révolutions,  par le "retour" de l'élément non informé ni pacifié par l'idéalisme philosophique et mathématique, et qui prend de nos jours le visage de Ben Laden. Gageons que celui ci et tous ses "frères et semblables" ne se préoccupperont guère de ce que les vérités de la géométrie évoluent, mais par contre, pour ce qui est des lois d'Allah, ils risquent de se montrer intraitables Mort de rire


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